Elèves à la rue ? Occupation, réquisition !

La CNT 38 est depuis longtemps impliquée dans la lutte autour des enfants à la rue, notamment par le biais de “l’Intersyndicale iséroise enfants migrant·es à l’école”, inscrite dans le “Réseau national d’aide aux élèves sans toit”. Nous avons rédigé un point d’étape de la situation actuelle en France des élèves à la rue ainsi que de la mobilisation qui leur vient en aide. Une situation désastreuse, inhumaine, qui s’installe dans le quotidien des écoles et dont il faut à tout prix refuser toute forme de banalisation.

Le constat est terrible : le nombre d’enfants – mineur·e·s non accompagné·e·s ou avec leur famille – vivant à la rue ne cesse d’augmenter. Au niveau national, le 115 (plate-forme d’urgence sociale chargée d’orienter vers l’hébergement d’urgence) chiffre le nombre d’enfants dormant à la rue au début du mois d’octobre 2023 à 2900. La situation ne fait qu’empirer, ce chiffre ayant augmenté de 42% en un mois. Or ce chiffre est largement sous évalué car il exclut les familles qui n’arrivent pas à joindre le 115 ou n’appellent plus faute de réponse positive, celles qui vivent dans des squats et bidonvilles ainsi que les mineur·e·s étranger·e·s non accompagné·e·s.

Nombre d’élèves arrivent donc à l’école après avoir dormi dehors ou dans des conditions d’extrême précarité, privé·e·s de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux avec les conséquences que nous connaissons sur leur santé mentale. Leur droit à une scolarisation continue et dans des conditions dignes n’est pas respecté. Le droit effectif à l’école leur est même parfois refusé du fait de la grande précarité qui découle de l’absence de toit : inexistence de structures de médiation vers l’école, refus de scolarisation des mairies dans le premier degré, délais d’affectation anormalement longs ou absence d’affectation dans le second degré et manque de moyens UPE2A pour les élèves allophones qui induisent décrochage scolaire voire déscolarisation totale.

L’augmentation du nombre de familles avec enfants à la rue s’explique à la fois par des fermetures de places en centres d’hébergement qui impliquent des remises à la rue – alors que le dispositif d’hébergement d’urgence est déjà saturé –, l’impact de l’inflation sur les plus précaires, le manque de création et d’attribution de logements sociaux et la politique d’expulsion sans solution des squats et bidonvilles. Ce à quoi s’ajoute les effets des lois anti pauvres et racistes criminalisant les sans-domiciles et mal-logé·e·s (Kasbarian-Bergé) ainsi que les sans-papiers empêché·e·s d’accéder au droit commun et maintenu·e·s dans la précarité la plus totale des années durant (réformes successives du CESEDA dont les futures lois Darmanin).

La capacité actuelle du parc d’hébergement d’urgence (203 000 places) est loin d’être suffisante pour couvrir les besoins et respecter les principes d’inconditionnalité et de continuité de l’hébergement normalement garantis par l’État. On assiste alors à un tri immonde des vulnérabilités et des précarités.

Les mineur·e·s non accompagné·e·s quant à elles·eux, considéré·e·s comme des étranger·e·s avant d’être considéré·e·s comme des mineur·e·s par les conseils départementaux, sont exclu·e·s de la protection de l’enfance et d’un hébergement du fait des dysfonctionnements liés à l’évaluation de leur minorité (soupçons permanents de fraude, critères d’évaluation arbitraires et non fiables, délais très longs). Ils ne sont pas mis·e·s à l’abri ni accompagné·e·s le temps de l’évaluation.

Les mairies qui peuvent pourtant prendre des mesures d’urgence (du fait de leur pouvoir de police administrative) pour protéger leurs administré·e·s et donc mettre à l’abri les personnes à la rue que l’État et les conseils départementaux laissent de côté, refusent de s’engager dans la réquisition de logements et biens vacants.

La hiérarchie de l’Éducation nationale qui devrait être en première ligne pour garantir un droit effectif à l’éducation (dont l’accès à un toit est la condition première) et la scolarisation de l’ensemble des enfants sur le territoire, préfère justifier la baisse des moyens et user de pression et répression sur les collègues qui se mobilisent en soutien à leurs élèves sans-toit.

Bien heureusement, partout en France, des collectifs de soutien aux élèves sans-toit, composés de personnels de l’Éducation nationale et de parents d’élèves, avec le soutien de syndicats dont la CNT et d’associations, s’organisent et se mobilisent aux côtés des élèves et des familles à la rue. Depuis la rentrée une quinzaine d’écoles et établissement ont déjà été occupés à Paris, Montpellier, Toulouse, Grenoble, Saint-Étienne, Villeurbanne et Lyon pour mettre à l’abri des élèves et leurs familles, dénoncer la situation et faire pression sur les institutions pour obtenir des hébergements. Chaque année la lutte paye et la solidarité qui s’exprime à travers les occupations d’écoles permet que nombre d’élèves soit mis·e·s à l’abri et obtiennent des hébergements. Cependant on assiste à une sorte d’institutionnalisation des occupations d’écoles qui deviennent une nouvelle forme de gestion de la pénurie en déchargeant les institutions de leurs responsabilités. Car malgré les mobilisations importantes aussi bien au niveau local que national sur ce sujet des élèves sans-toit, il n’y a pas d’avancées réelles sur la question de fond. Le manque de places d’hébergements et de logements pour couvrir l’ensemble des besoins reste criant et la situation continue de se dégrader. Nous recensons dans nos écoles et établissements toujours plus d’élèves qui vivent dans des conditions d’extrême précarité : à la rue, dans des squats et bidonvilles menacés d’expulsions, hébergé·e·s chez des tiers dans des conditions indignes ou dans des centres d’hébergement insalubres et indécents, inadaptés à leurs besoins et loin de tout.

Il est donc absolument nécessaire de continuer à refuser la banalisation de la situation des élèves à la rue et il est de notre responsabilité à nous, personnels de l’Éducation nationale, de poursuivre et d’amplifier la mobilisation collective, avec les parents d’élèves, pour rendre visible la situation, la politiser et mettre la pression sur l’État, les conseils départementaux, les métropoles, et les mairies. Ensemble exigeons la création de places d’hébergement d’urgence (10 000 places seraient nécessaires à court terme), la création et l’attribution de logements sociaux et pour ce faire la réquisition des logements vides. Exigeons aussi la régularisation de tou·te·s les sans-papiers présent·e·s sur le territoire, qui vivent ici, travaillent ici, étudient ici.

Infos pratiques et solidarité pour les élèves sans toit : https://www.eleves-sans-toit.fr/

Retrouvez le dernier point d’étape que nous avions publié, à l’été 2023, ici : https://ul38.cnt-f.org/2023/10/14/enfants-a-la-rue-une-rentree-particulierement-dramatique/

Cet article a été également publié dans “Classes en lutte”, le journal de la fédération des travailleurs et travailleurs de l’éducation de la CNT. Le journal est à retrouver ici : https://ul38.cnt-f.org/2023/11/27/cnt-education-classe-en-luttes-novembre-2023/


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