Loi dite “pour le plein emploi” : menacer les plus précaires

Un mois après l’adoption de la loi dite “Pour le plein emploi”, qui change considérablement la vie des personnes au RSA, l’AG Précaires de Grenoble a pris la parole, ce jeudi 14 décembre 2023, devant le pompeux World Trade Center grenoblois où était organisée “la journée du travail social” à l’initiative du département de l’Isère.

Cette longue prise de parole met notamment en lumière les réalités de vie des personnes au RSA.

Mentionnons également que la volonté de contrôle et de répression que porte cette loi se confronte déjà aux réalités : rien n’avait été anticipé, rien n’avait été préparé. Les “15h d’activités hebdomadaires obligatoires” sont reportées à 2025, mais malheureusement déjà plusieurs mesures sont entrées en vigueur, dont le contrôle numérique renforcé et automatique.

La prochaine AG Précaires aura lieu le mercredi 10 janvier, à 18h, au Lîeu, 17 rue Abbé-Grégoire. L’AG est ouverte à toutes et tous.

Pour contacter l’AG Précaires :


Aujourd’hui, jeudi 14 décembre 2023, nous sommes ici dans le cadre de la mobilisation contre la loi dite “pour le plein emploi” car il nous semble important de faire entendre nos voix publiquement.
Toute la journée, les grands pontes de l’action sociale vont parler de nous, comme d’habitude, sans nous ! Et pourtant ces rencontres disent avoir comme objectif de mettre, je cite, “l’usager au
cœur”…

Travailleurs et travailleuses sociales, vous êtes souvent nos seules interlocuteurices institutionnelles face à nos galères mais, avec cette loi, votre rôle de “service” se transforme encore plus en un rôle de contrôle. Nous vous demandons à vous aussi de réagir !

Il y a un mois jour pour jour, la nouvelle loi dite “pour le plein emploi” a été adoptée dans l’indifférence quasi générale. Elle contraint les allocataires du RSA à s’inscrire à Pôle emploi, rebaptisé par la même occasion “France Travail” et à effectuer 15h d’activité minimum par semaine non rémunérées.
Le texte adopté précise même que ce sont toutes les personnes inscrites à France Travail qui devront effectuer ces 15h, pas seulement les allocataires du RSA.

Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, nous dit que cette loi est un acte de “solidarité” envers les personnes précaires. Mais depuis quand aide-t-on des personnes, d’une part, sans leur demander leurs avis (en effet, les premières personnes concernées, tout comme aujourd’hui, ne sont jamais parties prenantes des décisions qui les concernent) et d’autre part, en les menaçant de sanctions !
Car il s’agit bien de ça : les mauvais.e.s élèves de l’insertion se verront sous le coup d’une suspension voire d’une radiation.
Nous, les allocataires du RSA, sommes justement des personnes qui vivons toujours sur le fil, qui bataillons pour boucler les fins de mois. L’augmentation du coup de la vie nous impacte particulièrement.
Suspendre notre unique revenu, ne serait-ce que sur un mois, a des effets dévastateurs ! Surtout que suspension du RSA veut souvent dire, entre autres, suspension des APL, ce qui met directement en péril notre logement pour celleux qui en ont un.
Cela ne ferait qu’augmenter les galères et nous précipiterait de plus belle dans la spirale de l’accroissement de la précarité, du surendettement, avec tous les impacts que cela peut avoir sur les individu.e.s et sur la société.
La précarité, la violence administrative, l’impression d’être coincé.e dans une situation sans issue avec comme seule réponse la répression créent une tension qui peut se transformer en violence que les individu.e.s retournent contre elleux-mêmes ou contre les autres (personnel de Pôle emploi, CAF, ou juste des personnes lambda).
Quand un État maltraite, humilie, appauvrit une partie de sa population, tout le monde en pâtit.

En plus d’être infantilisante et dangereuse, cette loi semble totalement absurde quand on sait qu’elle s’inspire du modèle allemand, Hartz IV. En effet, ce système mis en place en 2005 a toujours été très controversé, et son bilan est catastrophique : augmentation du taux de pauvreté, augmentation de l’écart de revenu entre les riches et les pauvres, recul du droit du travail avec les “boulots à un Euro”, payés 1 euro de l’heure, et la pression à accepter n’importe quel emploi. Ceci a laissé le champ libre aux entreprises pour dicter des conditions de travail inacceptables avec notamment l’absence de convention collective et de comité d’entreprise pour protéger les salarié.e.s.

Face à ces constats, en 2023, le gouvernement allemand a décidé d’abroger le HARTZ IV et de le remplacer par le “revenu citoyen” inspiré, entre autres, et quelle ironie, du modèle français !

Il nous semble aussi intéressant de mentionner ici que l’autre pays qui vient d’effectuer une refonte de ses minima sociaux est l’Italie [ainsi que ce lien]. En effet, le gouvernement d’extrême-droite a annoncé en juillet dernier par texto aux allocataires que l’allocation était supprimée, à moins de prouver qu’on est dans l’impossibilité de travailler.
On voit dans quelle tendance la politique de notre gouvernement s’inscrit…

Mais au fait, le RSA c’est quoi ?
Le RSA (revenu de solidarité active) est introduit en 2008, prenant la suite du RMI (revenu minimum d’insertion), avec déjà cet objectif de faciliter le retour à l’emploi.
Il concerne environ 2 millions de foyers en France.
Pour rappel, le RSA c’est 534 € par mois pour une personne seule , 765 € pour un couple sans enfant.
Des montants dérisoires qui suffisent à peine à survivre et qui ne sont déjà pas vraiment perçus sans condition.
En effet, pour toucher le RSA, on doit remplir un contrat d’engagement réciproque, le plus souvent tous les 3 à 6 mois, dans lequel on doit s’engager à faire différentes démarches. Ces contrats doivent ensuite être validés par le département.
Ce système est déjà difficile pour beaucoup : la durée des contrats est souvent réduite au plus court, on met la pression à des personnes même malades ou SDF pour qu’elles mettent l’emploi dans leur priorité, tout le monde doit rentrer dans des cases et il est jugé inacceptable de choisir une vie hors du salariat pour celleux qui le souhaitent.

De nombreux et nombreuses allocataires sont déjà obligé.e.s de suivre des formations données par des sous-traitants privés de l’insertion. Ces rendez-vous prennent beaucoup de temps et ne sont pas adaptés à nos véritables besoins.
Beaucoup se font déjà radier sous prétexte de n’être pas assez mobilisé.e.s dans leur recherche d’emploi et que leur situation n’avance pas assez, en tout cas, pas vers l’emploi.
On sait également qu’1/3 des foyers qui auraient le droit au RSA ne le touchent pas [également ce lien], ce qui représente un non-perçu de 3 milliards d’euros par an.
Ces chiffres risquent d’énormément augmenter avec cette nouvelle loi et on voit que le gouvernement n’a pas l’air de s’émouvoir des économies faites sur le dos des plus précaires, bien au contraire.

Par ailleurs, les plus précaires sont paradoxalement les personnes qui subissent le plus de contrôles et sont les plus sanctionné.e.s [ainsi que ce lien], comme si NOUS étions les grands arnaqueurs de l’État. La lutte contre les évasions fiscales ou les fraudes patronales par contre, n’ont pas l’air de mobiliser beaucoup le gouvernement malgré les milliards qu’elles lui coûtent.

Mais cette stigmatisation des précaires comme “fraudeur-euse-s”, “profiteur.euse.s” et “fainéant-e-s” [et ce lien] n’est pas nouvelle. L’État s’en sert depuis longtemps pour nous désigner comme cause des problèmes de cette société, alors que c’est lui qui en est directement responsable.
On a vu ce phénomène et le discours sur “l’assistanat” s’amplifier ces quinze dernières années. Et ce mythe de la fainéantise à la peau dure. Pourtant, on sait que quand on est au RSA, nos journées sont souvent bien remplies [également ce lien].
Entre les démarches administratives complexes, les heures de queue aux différents guichets, courir aux 4 coins de la ville pour trouver des produits de base gratuits ou au plus bas prix, la galère, ça prend du temps.
En plus, nous effectuons aussi une énorme quantité de travail gratuit invisibilisé.
D’une part, avec du bénévolat dans différentes associations qui font souvent le travail que l’État serait en devoir de réaliser.
Mais aussi par tout le travail domestique et le travail de “care” informel : la prise de soin de son entourage : famille, ami.e.s, voisin.ne.s. Et comme on fréquente souvent des personnes du même milieu social que soi, être dans la galère veut dire avoir des proches dans la galère et se rendre des services indispensables auxquels d’autres personnes auraient accès moyennant finances : garde d’enfants, aide au ménage, déménagement, soutien psychologique, etc.
On peut d’ailleurs noter que ce travail est le plus souvent effectué par des femmes et des minorisé- e-s de genre, qui vont donc se retrouver à nouveau les plus impacté-e-s par cette nouvelle loi et ses exigences, comme par toutes les dernières lois mises en place par le gouvernement (retraites, chômage, etc.).
D’ailleurs, la situation des mères célibataires est préoccupante, car seules les communes de plus de 10 000 habitant.e.s devront mettre en place des systèmes de garde d’enfants. Mais sous quelle forme ? Avec quels moyens ? On se le demande… Et quid des plus petites communes ?
Et cela pose aussi plus généralement la question du dispositif dans les zones rurales où il n’y a pratiquement plus de services publics et où les personnes n’ont pas toujours accès à des moyens de transport.

Il nous semble important de rappeler que la galère est souvent la cause et/ou la conséquence de problèmes de santé mentale et physique.
Ces problèmes demandent du temps (rendez-vous médicaux, traitements parfois contraignants) et font qu’on a moins d’énergie pour les autres aspects de nos vies.
Théoriquement, beaucoup de ces problèmes de santé devraient ouvrir des droits à l’AAH (allocation adulte handicapé), mais là aussi, la situation est très problématique.
Monter les dossiers représente un travail très fastidieux et difficile psychologiquement, qu’il faut renouveler régulièrement. Il faut attendre la réponse des mois, et souvent, des personnes qui présentent une maladie invalidante sont pourtant confrontées à des refus.

Il est donc clair que cette nouvelle loi n’est pas faite pour améliorer la situation des personnes précarisé.e.s par ce système capitaliste. Mais du coup, à quoi sert-elle ?
La réponse nous semble évidente : à augmenter les profits des entreprises !

On sait que de nombreuses entreprises ont du mal à recruter dans les secteurs dits “en tension”. Elles proposent le plus souvent des boulots pénibles physiquement et/ou psychologiquement, avec des horaires coupés, des salaires bas, aucune possibilité d’avancement et, en plus, une grande difficulté à s’organiser au niveau syndical et donc à améliorer ses conditions de travail ou simplement à faire valoir ses droits.
Alors face à cette situation, deux solutions : soit rendre ses emplois plus attractifs, soit faire en sorte qu’on ne puisse plus les refuser. On voit quelle solution le gouvernement a choisie.

Mais revenons au cœur de cette nouvelle loi. Elles consisteraient en quoi, ces 15h d’activité minimum ? Et d’ailleurs, si 15h est le minimum, c’est combien le maximum ?
Eh bien tout ça, dans le concret, reste un flou total, alors que la loi doit commencer à se mettre en place dès janvier à certains endroits.
Olivier Dussopt à beau affirmer que « Il ne s’agit évidemment pas de travail gratuit, ni de bénévolat obligatoire », cela y ressemble pourtant fort.
Même si on nous parle de formation, de coaching (fait par qui et avec quels moyens ? Mystère), ce qu’on sait, c’est que pour la mise en place du dispositif test dans 18 territoires, on parlait bien de “chantier” et de “stage.
Faire travailler gratuitement des personnes touchant les minima sociaux ne serait pas une première mondiale, plusieurs pays aux politiques ultra-libérales l’ont déjà mis en place.
Cela a même un nom : le “workfare” contraction des mots anglais “welfare” (aide sociale) et “work” (travail).
Et pour citer le sociologue états-uniens Jamie Peck : « Le Workfare ne consiste pas à créer des emplois pour ceux qui n’en ont pas mais à créer des travailleurs pour des emplois dont personne ne veut ».
Ce système a été lancé aux USA dans les années 70 à grand coups de stigmatisation sexiste, classiste et raciste avec l’image de la “Welfare Queen”, et perdure toujours aujourd’hui.

Cela pourrait d’ailleurs intriguer que l’image de la paresse et de l’inutilité sociale ne soit jamais collée aux rentier-e-s, aux grand-e-s héritières, comme si elleux avaient bien mérité de toucher leur argent sans avoir d’emploi… Deux poids, deux mesures ?

Cette idée que les pauvres, elleux, profiteraient du système nous rappelle les prémices français de la loi plein emploi. Depuis 2011, la contrepartie des aides sociales est un des chevaux de bataille de Laurent Wauquiez (président de la région AURA). En 2016, Jean-Pierre Barbier (président du département de l’Isère), disait souhaiter que les RSAstes « réapprennent à se lever et à faire des heures » en leur faisant faire du bénévolat et en évoquant le principe de “réciprocité”. En 2017, Eric Strausman, député du bas Rhin, a quant à lui voulu conditionner le RSA à 7h hebdomadaires de bénévolat dans des associations, puis en 2019, Édouard Philippe, alors premier ministre, avait tenu des propos allant également dans ce sens.
Donc cela ne vient pas de nulle part, mais ce qu’on remarque, c’est qu’à l’époque, il y avait eu une levée de boucliers contre cette vision des choses. Aujourd’hui, tout semble passer plus facilement. Pourtant la loi “plein emploi” va encore plus loin !

Cette loi résonne aussi avec le service civique qui est également “ni du salariat, ni du bénévolat”. Présenté comme un tremplin vers l’emploi pour les jeunes, il s’agit surtout d’emplois au rabais, qui n’ouvrent pas de droits sociaux et qui remplacent de véritables créations de postes, comme notamment à Pôle Emploi, dans les préfectures, dans l’éducation nationale et dans les services d’action sociale du Département ! Ces jeunes peuvent se retrouver à des postes aux enjeux compliqués (ex : accueil du public) et sans formation.

Quand l’État commence à créer des “activités” en dehors du droit du travail, on sait que cela va en général se répercuter sur l’ensemble du monde du travail, car c’est souvent un nivellement par le bas qui se produit.

Nous nous inquiétons du premier bilan du nouveau dispositif dans les territoires tests.
Si Olivier Dussopt déclare qu’il est positif (sans plus détailler), des récits de personnes concernées nous donnent une autre vision [ainsi que ce lien].
Par exemple, si des allocataires ont déjà une activité bénévole qui leur apporte du sens et une sociabilité, elle n’est pas comptée dans les 15h d’activités. En effet ces 15h d’activités doivent être en lien avec le parcours de retour vers l’emploi et elles ne peuvent pas être effectuées pendant plus d’un mois au même endroit.
Plus inquiétant, nous avons même reçu des témoignages de personnes qui disent avoir été mises en grande difficulté psychologique avec ce dispositif. On nous a parlé de harcèlement : appels téléphoniques incessants de la référente sociale même quand on est en arrêt maladie, ou alors qu’on a déjà commencé une formation (car même dans ce cas, pas de répit : « il faut penser à la suite »), ainsi que des pressions et menaces permanentes.

Cette loi peut sembler être une usine à gaz impossible à mettre en pratique (tout comme l’est déjà le contrat d’engagement jeune, dispositif assez proche), voire même juste un effet d’annonce plus qu’une véritable réalité à craindre. Nous pensons que dans tous les cas, il est indispensable de la combattre car comme on l’a vu, elle repose sur un recul des droits, non seulement des allocataires du RSA, des chômeurs et chômeuses, mais aussi de la population dans sa globalité.
De plus, elle s’inscrit dans un modèle de société délétère, celle que construit ce gouvernement de réformes en réformes, avec toujours plus d’injustices sociales, d’inégalités et de stigmatisation des populations les plus vulnérables (retraites, chômage, immigration, etc).

Pour nous, un État ne devrait pas principalement se soucier des chiffres du chômage, mais aussi des conditions de vie de la population et de son bien-être psychologique comme physique. Une société devrait être organisée autour de ces objectifs. Au lieu de ça, le système actuel ne vise qu’à bénéficier à celleux qui sont déjà les plus favorisé.e.s, comme les grands patrons et les actionnaires d’entreprises dont les bienfaits humains, sociaux et écologiques sont plus que contestables.

Ces dernières années ont été difficiles, notamment au niveau politique avec une répression violente des mouvements sociaux et une soi-disant démocratie gérée à coup de 49.3 qui laissent un goût amer aux mobilisations historiques récentes.

Nous, les RSAstes, étions aussi très nombreux et nombreuses dans la rue pour manifester contre la réforme d’une retraite qu’on ne touchera jamais, nous espérons la même solidarité de nos camarades travailleur-euse-s car, on l’a vu, c’est tout un modèle de société que nous devons combattre ensemble.

Ne baissons pas les bras, continuons à lutter contre ce monde qu’on nous impose !

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