Écoles occupées : et après ?

L’intersyndicale “Enfants migrant·e·s à l’école” (SUD, FSU, CNT) a publié un bilan de la riche année scolaire écoulée (2022-2023), le voici dans son intégralité :

Chaque matin en France, des milliers d’enfants vont à l’école après avoir passé la nuit à la rue. En juin 2023 encore, plus de 1 800 enfants dormaient dehors quotidiennement, faute de proposition d’hébergement par le 115 (estimation basse, basée sur les appels au 115).

En cause :

  • un parc d’hébergement d’urgence largement insuffisant qui ne permet pas de répondre aux besoins
  • une augmentation record du nombre d’expulsions locatives
  • une crise du logement, marquée par une pénurie de logements sociaux accessibles, dont les enfants sont des victimes collatérales.

Dans l’agglomération grenobloise, par le biais des recensements du CCAS de Grenoble et du Silef (Service isérois de lutte contre l’exclusion des familles qui fournit un accompagnement social aux familles dites en “situation administrative complexe“) nous savons qu’environ 400 enfants ne bénéficient pas d’un hébergement stable (mais vivent à la rue, en squat, bidonvilles, hébergé·e·s chez des tiers) dont 230 sur la seule ville de Grenoble recensé·e·s au début du mois de juillet 2023.

Face à ces manquements, des collectifs (composés de parents d’élèves, de personnels de l’éducation nationale, d’associations, de syndicats et de citoyen·ne·s) se mobilisent sans relâche auprès des élèves sans toit et de leurs familles pour défendre leurs droits, et leur permettre d’accéder a une solution d’hébergement. Lorsqu’aucune solution n’est trouvée et afin de faire pression sur les institutions publiques défaillantes pour qu’elles respectent le droit, des familles sont mises a l’abri dans les écoles et les gymnases. Ce fût le cas durant l’année scolaire 2022-2023 dans plusieurs villes de France : Lyon, Paris, Rennes, Strasbourg, Grenoble, Bordeaux, Tours…

« Lorsqu’aucune solution n’est trouvée et afin de faire pression sur les institutions publiques défaillantes pour qu’elles respectent le droit, des familles sont mises a l’abri dans les écoles et les gymnases. »

Un réseau national d’aide aux élèves sans toit est né en septembre 2022 de la volonté de coordonner ces collectifs de soutien, avec l’appui d’associations nationales engagées dans la lutte contre le mal logement et la défense des droits de l’enfant (Collectif des associations unies, FCPE et Jamais sans toit). Il s’est donné pour objectif de :

  • permettre aux collectifs de mettre en commun leurs infos (pour comptabiliser les élèves sans toit au niveau local et national par exemple) et d’échanger sur leurs pratiques,
  • de coordonner leurs actions pour interpeller les pouvoirs publics et porter leurs revendications au niveau national en les médiatisant.

Il a produit un Toitoriel (https://www.eleves-sans-toit.fr/ressources/le-toitoriel/) destiné aux personnes qui souhaitent soutenir les élèves sans toit et leur famille notamment en occupant les écoles.

À Grenoble, à partir d’octobre 2022, 10 écoles en activité ont été ouvertes pour mettre à l’abri une vingtaine de familles. Les occupations d’écoles ont permis que 11 familles soient hébergées au cours de l’année par l’État ou le CCAS de Grenoble. À la fin de l’année scolaire il restait encore 6 écoles occupées par 7 familles. À cela s’ajoute l’ancienne école Jean-Macé, occupée depuis fin août 2022, avec le soutien du DAL, où vivent encore 30 foyers dont 10 familles avec 18 enfants. Au total ce sont donc plus de 30 familles avec enfants qui ont été hébergées dans des écoles durant l’année scolaire 2022-2023.

Une coordination des écoles occupées et des collectifs mobilisés dans l’agglomération grenobloise autour des élèves sans toit s’est créée en décembre 2022, soutenue par RESF, le DAL, la FCPE et l’intersyndicale “Enfants migrant·e·s à l’école” (SUD, FSU, CNT). Elle a permis aux collectifs qui occupent les écoles et/ou se mobilisent autour des élèves sans toit :

  • d’échanger sur le fonctionnement des différentes occupations
  • d’interpeller les institutions (mairie, métro, éducation nationale, département, préfecture)
  • d’organiser des actions communes afin de visibiliser la situation et faire davantage pression pour obtenir des hébergements pour les familles : conférences de presse, rencontres avec les mairies, rassemblement devant des logements vides qui pourraient être réquisitionnés, rassemblement devant le conseil départemental pour dénoncer sa défaillance dans la protection de l’enfance, occupations de lieux publics, etc.

La pression a été mise principalement sur la mairie de Grenoble où se sont concentrées toutes les occupations d’école. D’une part parce qu’elle a voté en conseil municipal l’expérimentation de la réquisition de logements vacants (délibération non appliquée depuis juin 2022 !), d’autre part car c’est l’institution la plus “proche“ et la plus à même de négocier avec l’État, la Métro, le Conseil Départemental pour que des solutions soient trouvées.

Grâce à une lutte acharnée et des occupations de lieux publics grenoblois (auditorium du Museum d’histoire naturelle, bibliothèque du centre ville, hall de la mairie — voir les différents articles déjà publiés) durant le mois de juin 2023 :

  • les dernières familles occupant les écoles en activité ont obtenu des hébergements de l’État ou du CCAS, dans l’agglomération ;
  • les foyers occupant l’école Jean-Macé ont obtenu l’assurance de la mairie qu’ils ne seront pas expulsés et de son engagement à chercher des solutions d’hébergement ou de logement pour chacun·e : un comité de suivi est mis en place afin que l’avancement des recherches soit connu par et discuté avec les premier·e·s concerné·e·s et leurs soutiens.

La lutte a donc payé et la solidarité en acte qui s’exprime à travers les occupations d’écoles a permis que nombre d’élèves soit mis·e·s à l’abri et obtiennent des hébergements.
À Lyon par exemple, depuis sa création en 2014, le collectif Jamais sans toit a dépassé la centaine d’occupations de près d’une soixantaine d’établissements qui ont servi de refuge temporaire a plus de 450 enfants. Cette année scolaire, il a occupé 30 établissements. Cependant il fait le constat qu’au fil des ans on assiste à une sorte d’institutionnalisation des occupations d’écoles qui deviennent une nouvelle forme de gestion de la pénurie en déchargeant les institutions de leurs responsabilités. Car malgré les mobilisations importantes aussi bien au niveau local que national sur ce sujet des élèves sans toit, il n’y a pas d’avancées réelles sur la question de fond. Le manque de places d’hébergements et de logements “vraiment” sociaux pour couvrir l’ensemble des besoins reste criant et la situation continue de se dégrader. Nous recensons dans nos écoles et établissements de plus en plus d’élèves qui vivent dans des conditions d’extrême précarité : à la rue, dans des squats et bidonvilles menacés d’expulsions d’ici la fin de l’été, hébergé·e·s chez des tiers dans des conditions extrêmement précaires ou dans des centres d’hébergement insalubres et indécents, inadaptés à leurs besoins et loin de tout.

«On assiste à une sorte d’institutionnalisation des occupations d’écoles qui deviennent une nouvelle forme de gestion de la pénurie en déchargeant les institutions de leurs responsabilités. »

Il est donc absolument nécessaire de continuer à refuser la banalisation de la situation des élèves à la rue, exiger des moyens pour l’hébergement d’urgence, le logement et la réquisition des logements vides. Nous encourageons les collègues à poursuivre et amplifier la mobilisation collective, avec les parents d’élèves, pour rendre visible la situation, la politiser et mettre la pression sur les institutions. Rendez-vous est donné dès la rentrée 2023 pour relancer “l’Intercollectif des écoles occupées et mobilisées de l’agglomération” avec lequel de nouvelles initiatives nationales sont d’ores et déjà prévues : conférence de presse commune du réseau national d’aide aux élèves sans toit avec participation des syndicats de l’éducation, événement pour la journée internationale des droits de l’enfant le 17 octobre…

Occupons les écoles tant qu’il le faudra !
Pas un·e élève à la rue !

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