Un regard sur la lutte des postier·ères de Grenoble – ou comment résister dans l’ombre de la précarité

À partir du 22 mars dernier et pendant de longues semaines, les facteur·ices du bureau de Chavant ont mené une grève reconductible pour l’amélioration de leurs conditions de travail et obtenir la titularisation des précaires. Une mobilisation longue, qui a côtoyé la grève des facteur·ices du bureau Lionel-Terray contre la réorganisation de leurs tournées, fin mars, puis celle des postier·ères de l’agence Colis-Poste de Mistral contre l’augmentation de leur charge de travail, à la mi-mai.

À ces diverses mobilisations – signe manifeste de la dégradation de l’ensemble des conditions de travail de la Poste à Grenoble – la seule réponse de la hiérarchie a été la sourde-oreille, d’hypocrites manœuvres de temporisation, et des mesures disciplinaires pour faire taire la contestation.

Face à une telle attitude, un comité de soutien a été mis sur pied et la CNT a pris sa part de la solidarité à apporter aux postier·ères en lutte.

Des rassemblements, blocages, pétitions, etc. ont alors eu lieu pour renverser le rapport de force au profit des grévistes.

Hélas, ni ce soutien ni la détermination des grévistes elles et eux-mêmes n’auront été suffisant… Du moins pour cette fois. La décrue du mouvement social sur les retraites en mai aura entraîné dans son sillage celle du soutien à cette lutte difficile, et, le temps passant, les grévistes durent se résoudre à reprendre le travail sans avoir obtenu satisfaction. Ce mouvement aura néanmoins attiré l’attention de l’inspection du travail, qui a diligenté des contrôles sur tous les centres courriers de l’agglomération. Reste à en attendre les conclusions, qui seront certainement édifiantes.

Cette lutte ne sera néanmoins certainement pas sans lendemain. Elle est en effet d’une actualité remarquable, en ce qu’elle a réuni des travailleur·euses précaires dans une entreprise dont toute la politique depuis des décennies a consisté à détruire les collectifs de travail et à isoler les travailleur·euses pour mieux les contrôler.

D’une logique de métier, on est passé à une logique de tâches interchangeables pour employé·es interchangeables.

Une évolution qui n’a pour tout fondement que la réalisation du dogme de la privatisation et du “new public management”, quant bien même ce serait au détriment de la qualité du service. Rappelons qu’il y a quelques décennies encore, n’importe quelle lettre postée était distribuée le lendemain partout en France. Aujourd’hui, La Poste marchande à prix d’or des services que ses salarié·es effectuaient autrefois gratuitement, au nom d’une certaine idée du service public. Le courrier s’attarde et se perd, tandis que les colis sont malmenés, au gré de tournées de distribution dont chaque étape est à présent minutée et contrôlée.

Cette dégradation catastrophique du service, comme des conditions de travail, signale le caractère profondément politique des réorganisations du travail que nous subissons depuis des décennies et auxquelles la Poste paye un si lourd tribut.

Les résultats obtenus par ces pratiques n’ont rien en commun avec les discours par lesquelles elles se sont légitimées autrefois, et continuent encore bien souvent de le faire. Ces résultats consistent dans la destruction des cadres anciens dans lesquels se développaient la solidarité entre collègues, à la base, source de l’enracinement syndical et plus largement de la capacité de résistance des travailleur·euses aux diktats plus ou moins sensés de leur hiérarchie. C’est cette capacité de résistance, cette parcelle d’autonomie ouvrière qu’il s’agissait bel et bien de détruire, même au prix de nombreux et précieux savoir-faire. En un mot comme en cent donc, ce qui s’est passé à la Poste en 30 ou 35 ans, c’est ironiquement le sacrifice du bon fonctionnement du service sur l’autel du seul pouvoir managérial.

On comprend donc mieux ce qu’il y a de remarquable dans la lutte des intérimaires de la Poste à Chavant, et dans leur capacité de se mobiliser dans un environnement qui a été conçu spécifiquement pour asphyxier toute possibilité de contestation collective.

À l’heure où ce modèle managérial d’absolue précarité et d’isolement continue de se répandre dans le public comme dans le privé, sous l’égide complice des gouvernements successifs, nous aurons à nous inspirer de ce qu’ont accompli nos camarades de Chavant pour faire renaître envers et contre tout, opiniâtrement, les bases d’une solidarité de classe en entreprise.

C’est ce à quoi la CNT s’emploie à la Poste comme ailleurs, car si, dans l’Isère, nous ne sommes qu’un soutien extérieur aux luttes des facteur-ices, il en va autrement dans d’autres départements où des syndicats CNT PTT sont implantés.

Pour un aperçu de ces luttes, ci-joint, le numéro 14 du bulletin de la fédération PTT de la CNT : le Braséro.


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